Mediapart.fr • Défaite électorale d’Evo Morales et tensions socio-environnementales en Bolivie • 01/03/2016
Par Dimitri de Boissieu Blog : Le blog de Dimitri de Boissieu
Evo Morales vient d’essuyer son premier échec électoral d’importance. Cette défaite est en partie liée à la persistance d’un modèle de développement extractiviste en Bolivie. L’exploitation des ressources naturelles a généré en 2015 d’importantes tensions socio-environnementales dans le pays.
Se perpétuer au pouvoir
Le président bolivien a fêté le 22 janvier dernier dix années à la tête de son pays. Durant un discours fleuve de plus de cinq heures, il a vanté devant les parlementaires boliviens les avancées de son gouvernement. Sur les volets économiques, sociaux et culturels, les résultats du «proceso de cambio»1 sont importants. Les boliviens ont pourtant choisi un mois plus tard de ne pas permettre à Evo Morales de poursuivre son action présidentielle sur la période 2020-2025.
La population était consultée par référendum le 21 février 2016 sur la possibilité de modifier l’article 168 de la constitution, en vue de permettre ou non à Evo Morales et à son vice-président Alvaro García Linera de se présenter pour un quatrième mandat. La campagne fût tendue et les résultats sont serrés. Le Non atteint 51,3 % des suffrages contre 48,7 % pour le Oui. La nouvelle constitution politique de l’Etat ne sera pas modifiée. Evo Morales essuie ainsi son premier revers électoral, lui qui depuis une décennie était habitué à remporter les élections haut la main2.
Centre énergétique du continent
Les raisons de cet échec sont multiples. Parmi elles, la promotion d’un système économique basé sur l’exploitation des ressources naturelles et l’exportation d’énergie a sans doute joué un rôle.
Luis Alberto Sánchez, ministre des hydrocarbures et de l’énergie de l’Etat plurinational de Bolivie, ne cesse de le répéter : son pays poursuit l’ambition de devenir «le centre énergétique du continent sud-américain». Depuis l’arrivée au pouvoir d’Evo Morales en 2006, la nationalisation partielle du secteur des hydrocarbures a permis d’augmenter très significativement le budget de l’Etat. Une politique de redistribution des richesses a ainsi donné lieu au développement d’importants programmes sociaux dans le pays. La forte croissance observée actuellement en Bolivie (5% du PIB en moyenne sur la décennie) et la lutte contre la pauvreté sont totalement dépendants d’un système extractiviste d’exploitation des ressources naturelles.
Mais ce modèle de développement entre en contradiction avec les engagements écologistes d’Evo Morales. Il génère de vifs conflits socio-environnementaux dans le pays. Le référendum de février arrive après une année 2015 chargée de signaux inquiétants pour la nature et pour les droits de ceux qui la défendent.
Exploiter les hydrocarbures dans les espaces protégés
La biodiversité bolivienne figure parmi les plus riches de la planète. Des glaciers andins au bassin amazonien en passant par les très exceptionnelles forêts de nuages, c’est toute une variété d’écosystèmes qui s’exprime sur un gradient altitudinal de plus de 6000 mètres. Vingt-deux parcs naturels permettent de protéger ce patrimoine naturel inédit, couvrant près de 16% du territoire national3. Ces aires protégées sont reconnues comme « bien communs » dans la nouvelle constitution et sont censées être co-gérées par l’Etat et les populations autochtones qui y vivent.
Malgré cela et pour faire face aux actuelles incertitudes du marché pétrolier mondial, un décret suprême a autorisé le 20 mai dernier l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures dans ces espaces protégés. Selon Jorge Campanini du Centre de Documentation et d’Information de Bolivie, le décret 2366 inflige une lourde sentence aux aires protégées boliviennes4. La moitié d’entre elles seraient concernées par cette nouvelle frontière pétrolière. C’est le cas du Parc national d’Iñao, dont 90 % de la surface est désormais soumis à l’exploration pétrolière via un contrat avec une filiale de Total5. Devant ces menaces, les organisations indigènes des basses terres de Bolivie ont exprimées leurs préoccupations6, relayées ensuite par le «défenseur du peuple», principale institution de défense des droits de l’Homme dans le pays7.
Répression des mouvements indigènes
Afin que soit respecté leur « droit à la consultation préalable »8 avant des actions d’exploration pétrolière prévues sur leurs Terres Communautaires d’Origine9, certaines organisations du peuple Guarani ont organisé mi-août le blocage de la route connectant la Bolivie à l’Argentine. Considérée comme illégale par le gouvernement, cette mobilisation a sévèrement été réprimée par la police le 18 août dans la localité de Takovo Mora. Plusieurs dizaines de personnes ont été blessées et interpellées. On ne joue pas avec la question pétrolière !
En 2011 déjà, une forte répression avait eu lieu contre les militants de la « Huitième marche indigène de Bolivie pour la défense du territoire, la vie et les droits des peuples autochtones »10. Ceux-ci protestaient contre le projet gouvernemental de construction d’une route au travers du Territoire Indigène et Parc National Isiboro-Secure (TIPNIS). Devant l’ampleur de la mobilisation, Evo Morales avait été contraint de renoncer au projet. Mais le temps est passé et il a indiqué le 4 juin dernier que cette route allait tôt ou tard voir le jour. Le 27 juin 2015, c’est le vice-président de l’Etat qui prenait le relais en affirmant que «la bataille allait être très dure mais qu’ils en sortiraient vainqueurs«. Álvaro García Linera souhaite ainsi demander au parlement de modifier la loi n°180 qui avait promulgué le caractère intangible du TIPNIS en octobre 2011.
Evo Morales menace d’expulser les ONG étrangères
Le 18 juin 2015, lors de l’inauguration d’un nouveau gisement de pétrole découvert prêt de la ville de Santa Cruz, Evo Morales déclare :
« Les réserves naturelles ont été créées depuis l’empire Nord-américain et aujourd’hui, elles se convertissent comme si elles étaient intouchables et intangibles (…) Bien sûr, notre obligation est de prendre soin de notre environnement, mais nous ne pouvons être les gardes forestiers des pays industrialisés. Il n’est pas possible que des ONG ou fondations commandent ou décident au nom du mouvement indigène. Je veux dire aux ONG et fondations que si elles nuisent à l’exploration des ressources naturelles, elles s’en iront de Bolivie. Nous n’avons pas besoin d’institutions étrangères qui viennent nous porter préjudice. »
Plusieurs ONG écologistes boliviennes sont aujourd’hui également en ligne de mire. Au mois d’août, le vice-président a fustigé quatre d’entre-elles (CEDIB, CEDLA, Fondations Tierra et Milenio), les accusant de faire de la politique, de mentir et bien sûr, d’être à la solde de la droite. Devant cette situation, 28 intellectuels d’Amérique et d’Europe lui ont envoyé une lettre d’interpellation, s’inquiétant de cette manifeste réduction de la liberté d’expression dans le pays. Álvaro García Linera y a répondu en rétorquant que la Bolivie figure parmi les pays les plus démocratiques du monde et qu’il regrette que les signataires aient été manipulés par les ONG. Evo Morales a renchéri le 20 août en indiquant que les ONG ne sont plus nécessaires en Bolivie et que «ceux qui conspirent contre le gouvernement démocratiquement élu ou contre notre processus vont avoir des problèmes»11.
Par peur de représailles, l’autocensure commence à clairement façonner le travail des ONG en Bolivie.
Programme nucléaire bolivien
Souhaitant concrétiser le «saut technologique et industriel» de son pays, Evo Morales lance en 2015 le programme nucléaire bolivien. Il s’agit dans un premier temps de se doter d’installations pour la recherche et la santé mais personne n’est dupe, l’objectif est bien à terme de construire une centrale nucléaire dans le pays, en coopération avec la Russie. La construction du complexe est prévu à Mallasa, au Sud de la ville de La Paz. A l’automne 2015, les habitants de ce quartier se mobilisent activement contre ce projet jugé incohérent et risqué pour l’environnement et la santé des riverains. Ils sensibilisent les citoyens de la capitale et réussissent à faire plier le gouvernement, qui décide finalement d’installer le centre nucléaire un peu plus loin, dans la ville d’El Alto.
Un méga-barrage en vue
Dans les départements de La Paz et du Béni existe une zone richissime. A partir des hauteurs de la frontière péruvienne, le parc national du Madidi plonge vers la zone tropicale, donnant lieu à une diversité écologique et culturelle exceptionnelle. Aux abords de ce parc se situe la réserve de biosphère et territoire indigène Pilón Lajas, occupée par des communautés Chimanes et Mosetens. Mais cette zone d’exception sera peut-être bientôt sous les eaux.
Le gouvernement d’Evo Morales a en effet relancé en juillet les études préalables au projet de méga-barrage hydroélectrique du Bala. Cette retenue d’eau inonderait 200.000 ha de forêt tropicale12, induirait le déplacement de nombreuses communautés indigènes et déstructurerait l’activité écotouristique, actuellement motrice de l’économie régionale. Si le gouvernement persiste dans sa volonté de créer cette infrastructure aux impacts pharamineux, il va sans doute au devant d’un conflit social à résonance internationale.
Nous pourrions poursuivre ainsi l’énumération des tensions socio-environnementales qui secouent actuellement la Bolivie. Ces incohérences politiques ont clairement été identifiées par «l’atelier 18», en octobre dernier à Cochabamba. Cet espace de débat alternatif a rassemblé chercheurs, mouvements indigènes, ONG et citoyens, en parallèle de la «Conférence mondiale des peuples sur le changement climatique et la défense de la vie»qu’avait organisé le gouvernement bolivien en amont de la COP 2113.
Ayant accordé la priorité absolue à ses projets de routes, barrages, mines, usines et grandes cultures, le pouvoir déploie une certaine énergie pour affaiblir ceux qui critiquent son projet. Cela se traduit par une division systématique des organisations indigènes, par une pression constante sur les ONG d’environnement et par un affaiblissement du système d’espaces protégés du pays.
Evo Morales et ses alliés accusent tous ceux qui les critiquent d’être de droite et de servir les intérêts de puissances extérieures impérialistes. Mais cette analyse ne tient pas. De nombreux mouvements de gauche ont fait campagne pour le Non au référendum. Le groupe «Une nouvelle gauche est possible» par exemple ou le mouvement citoyen «No est N.O.» qui milite pour une «Nouvelle Opportunité pour la démocratie, l’environnement et la justice». De nombreux intellectuels et politiques anciennement aux côtés du leader indigène ne souhaitent pas qu’il soit reconduit au pouvoir après 2019.
Le manque de cohérence entre les intentions d’écologie affichées par Evo Morales sur la scène internationale et les politiques publiques réellement mises en place par son exécutif en Bolivie est maintenant criant. L’une de ses erreurs est sans doute de s’être entouré de personnalités de la gauche traditionnelle pour qui les nouveaux enjeux d’écologie sociale n’ont que peu d’importance,… et de s’être séparé de ceux qui voulaient concrètement construire une nouvelle société fondée sur le «vivre bien» et la défense de la «Pachamama»14, qui constituent pourtant l’un des socles de l’engagement politique du président.
Références:
1 «Processus de changement».
2 Aux élections présidentielles de 2005, 2009 et 2014, Evo Morales est élu au premier tour, obtenant respectivement 53,7; 64,2 et 57,5% des voies.
3 Selon le Service National des Aires Protégées, si l’on inclue les espaces protégés de caractère départemental, il s’agit au total de 49 aires protégées, couvrant 22,5% du territoire national.
4 http://www.cedib.org/wp-content/uploads/2015/05/Decreto-Areas-Protegidas.pdf
5 Total E&P Bolivie (TEPBO), qui agit depuis 1994 dans le pays.
6 Cf. article de presse «Indígenas anuncian resistencia a exploración petrolera en parques» (La Razón digital, 9 juin 2015).
7 Cf. article de presse «Defensor alerta que 20 de las 22 áreas protegidas del país están en riesgo» (Pagina Siete, 13 octobre 2015).
8 Droit inscrit dans la nouvelle Constitution Politique de l’Etat.
9 Statut légal des territoires des peuples autochtones en Bolivie.
10 Repression de «Chaparina».
11 Cf. Discurso présidencial n° 649, vendredi 21 aout 2015, Ministère de la communication, Cambio.
12 Cf. article de Marco Octavio Ribera Arismendi: «La megapesadilla de la represa de El Bala» (Bolpress, 21 avril 2015).
13 Cf. article de Dimitri de Boissieu: «Le double jeu d’Evo Morales» (revue Silence n°441, janvier 2016).
14 «Terre Mère» dans la cosmologie andine.
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